L’importance du temps pour soi

« Formaté à tenir la cadence, le petit être grandit en oubliant ainsi son rythme au profit de celui des autres. En devenant adulte à son tour, il entame un autre chapitre de son histoire : celui de la course folle dans laquelle l’humanité perd aujourd’hui son souffle. »

Véronique Aïache

Dans un monde de vitesse, de l’urgence, à tout vouloir faire, vite et bien, d’avoir cette impression de ne pas avoir le temps, d’avoir des journées trop remplies…l’idée est simple : et si nous ralentissons…tout simplement !

Véronique Aïache, auteure du livre L’art de ralentir pour prendre le temps de vivre, nous livre ici toute une panoplie d’idées pour ralentir et prendre le temps de se retrouver.

AÏACHE, Véronique. L’art de ralentir pour prendre le temps de vivre. 2018. Éditions Flammarion. (p. 62-72)

Osons lire dix pages avec Ambassadrice Chasta DOUCHARD 

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En quoi est-ce si important de consacrer du temps pour soi et non pas pour les autres ? À cette question, le docteur Légeron répond par une anecdote : « Lorsque je terminais mes études de psychiatrie aux États-Unis, un de mes professeurs m’a dit un jour que la vie était comme un trépied. Un tabouret à trois pieds est toujours bien plus stable qu’une table qui en compte quatre et qui réclame la plupart du temps une cale pour être stable. La vie, donc, est à l’image d’un trépied qui se répartit de la façon suivante : il y a un tiers consacré au travail, un tiers au social/familial, et un tiers pour soi tout seul. Bon nombre de personnes affirment par conviction être parfaitement équilibrées entre leur travail et leur famille, mais c’est un leurre. Ce professeur avait beaucoup insisté sur l’importance du troisième pied, qu’il considérait comme une règle de vie : prendre du temps pour soi, égoïstement.

Comme un banquier qui conseillerait de diversifier ses placements et de ne pas tout miser sur la même valeur, une fracture est nécessaire entre la vie privée et la vie professionnelle. Toutes les nouvelles technologies qui nous mettent rapidement en contact avec le travail ont rendu complètement poreuse la frontière entre les deux. Il y a encore trente ans, un cadre souhaitant travailler chez lui le dimanche apportait une brouette de dossiers à la maison. Il y a dix ans, il se contentait de ramener une clé USB. Aujourd’hui, il n’a qu’un clic à faire pour se connecter sur son iCloud et avoir accès à ses dossiers ou à ses mails. Ce sont des réflexions que la société vient tout juste d’entamer, car elle a été jusque-là bien trop fascinée par les nouvelles technologies du numérique. Je pense qu’une personne affairée passe pour une personne dynamique, mais je dirais plutôt qu’elle est mal organisée.»

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« Il est des pensées qui, comme certaines fleurs, doivent se respirer lentement en osant prendre le temps de ralentir le temps. »

Pensées tendres à respirer au quotidien, Jacques Salomé

« [La lenteur] se reconnaît à la volonté de ne pas brusquer le temps, de ne pas se laisser bousculer par lui, mais aussi d’augmenter notre capacité d’accueillir le monde et de ne pas nous oublier en chemin. »

Du bon usage de la lenteur, Pierre Sansot

Il est à parier que si le terme « décélération » avait la même consonance poétique, la même musicalité phonétique que celle qui berce les pensées lorsque la « lenteur » est écrite ou prononcée, nous l’utiliserions plus volontiers et sans préjugés pour illustrer nos fantasmes de vie calme et sereine.

Pourtant, si agressive soit-elle à l’œil ou à l’oreille, la décélération correspond bien plus et en tout point à notre quête de mieux-être. Celle qui passe par une volonté farouche, par un besoin viscéral et profond de ralentir la cadence de nos existences. Décélérer consiste à soulever juste assez le pied de la pédale pour arriver à destination sans se priver de la beauté du paysage. En revanche la lenteur, telle qu’elle est définie par nos académiciens, se fait l’écho d’un manque de rapidité et de vivacité.

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Partant de là et avec toutes mes excuses présentées à ceux qui préfèrent lenteur à décélération, j’imposerai ici mes prédilections linguistiques et opterai pour le terme qui me semble le plus adéquat à mes propos.

Décélérer, donc, revient à diminuer la vitesse sans s’extraire pour autant de la route. Voire du droit chemin. Décélérer, c’est rendre à notre corps et à notre esprit le rythme qui leur appartient. C’est conférer à la durée toute la saveur qu’elle mérite, ®éveiller sa conscience au plaisir que procure l’instant. C’est aussi dépolluer ses pensées, désencombrer sa tête de tout ce qui la parasite et empêche d’avancer. En résumé, décélérer permet à l’individu de se rendre disponible pour nourrir son âme de ce qui lui apparaît, à lui et non à un autre, comme élémentaire.

À l’évidence, ceux qui lisent ces lignes aspirent à cet état de grâce, à ce ralentissement salutaire qui libère des chaînes de la frénésie vorace. Cette prise de conscience effectue à elle seule le premier pas qui conduit vers l’harmonie intérieure. Cette étape capitale étant franchie, il ne reste plus qu’à ouvrir les portes du ralentir pour entrer de plain-pied dans la sérénité.

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« Mon passe-temps favori, c’est laisser passer le temps, avoir du temps, perdre son temps, vivre à contretemps. »

Françoise Sagan

Par où commencer pour remettre nos pendules existentielles à l’heure ? Ici, aucune réponse d’aucune sorte ne peut prétendre détenir la vérité absolue. D’aucuns préconiseront d’inaugurer le chantier par la mise en application des préceptes de la slow life, un concept sur lequel nous reviendrons ultérieurement. D’autres inviteront les marathoniens du quotidien à combattre d’abord leur stress via des thérapies douces telles que la méditation, le yoga, la sophrologie, les massages… D’autres encore encourageront la politique du lâcher-prise à grand renfort de promenades bucoliques, de voyages exotiques ou de lectures philosophiques… Rien à redire à cela : que ce soit l’une ou l’autre, toutes ces méthodes parviennent à apaiser de façon ponctuelle ou pérenne le tumulte des consciences malmenées. En cajolant les corps, elles recentrent les esprits. En équilibrant les esprits, elles soulagent les corps. Partant du fait que les penseurs ne sont pas forcément eux aussi des payeurs, il appartient donc à chacun d’opter pour ce qui lui correspond le mieux.

Cependant, le but commun étant de réussir à séquencer différemment son temps pour en jouir pleinement, on peut envisager de commencer par se débarrasser des mangeurs de temps pour libérer l’espace qu’ils occupent inutilement.

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Nous connaissons tous la sensation d’avoir la tête si pleine qu’elle pourrait exploser sous l’impact d’une simple pichenette. Nous avons tous vécu au moins une fois cette impression extrême, faite de dizaines d’idées qui s’entrechoquent comme des autos tamponneuses le font dans un parc d’attractions. Lorsque nous en arrivons là, c’est qu’il y a de grandes chances que nous soyons victime du syndrome d’infobésité. Comprenez par là de surcharge d’informations. Trop de choses en même temps à penser, à mémoriser, à organiser… Trop de poids à soulever pour nos pauvres méninges qui en viennent à traîner des pieds faute d’énergie. Écrasée par ce trop-plein de pensées, notre sagacité finit par s’engourdir. En tournant au ralenti, notre réflexion perd son acuité en même temps qu’elle nous fait perdre notre temps : elle nous oblige à la lenteur. Nous mettons par exemple une heure à rédiger un courrier simple alors qu’en ayant les idées claires, les phrases viendraient sans peine et en dix minutes.

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Faire du vide dans sa tête, se délester des pensées inutiles et dévoreuses de minutes comme on clique sur l’icône Poubelle de notre ordinateur pour se débarrasser des mails sans intérêt est alors essentiel. En toute logique, le temps gagné à ne pas les lire et à ne pas y répondre est autant de temps disponible pour se concentrer sur des choses plus importantes.

L’art de déléguer

Confier à autrui les petites tâches qui nous incombent ne revient pas à tourner le dos à ses responsabilités. On ne se défausse pas là d’une mission capitale à accomplir. On s’allège simplement du poids qu’elles représentent dans notre emploi du temps. En demandant par exemple à son conjoint ou à son enfant de prendre en charge les petites tâches ménagères, on se libère de l’obligation d’y penser et on gagne un peu de temps par la même occasion.

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L’utilité de l’aide-mémoire

Prendre quelques secondes pour consigner sur un support papier ou informatique les dates de vacances scolaires, les courses à acheter, les rendez-vous pris ou à prendre… Beaucoup rechignent à établir ce genre de liste par peur de s’y retrouver piégés. Piégés par la culpabilité de ne pas la respecter. Pour balayer ses a priori, il suffit de reconsidérer la to do list comme une aide et non comme une ordonnance médicale qu’il faut respecter à la lettre sous peine de retomber malade. Écrire tout ce que l’on a à faire permet en effet de ne plus avoir à y penser. L’information quitte le cerveau pour s’inscrire ailleurs. Elle peut alors disparaître de la tête et l’alléger d’autant.

Les bienfaits du rangement

Trier, jeter, classer… Débarrasser son espace comme on désencombre sa tête. Lorsque l’on comprend que ranger – son bureau, ses armoires, son sac à main… – fait gagner un temps fou à ne pas chercher ce dont on a besoin, on n’hésite plus à déblayer ses petits terrains. Une fois que l’espace est dégagé, l’air y est plus fluide. À l’instar des idées claires qui permettent de mieux respirer.

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Réduire son temps de connexion

Comme nous l’avons vu précédemment, l’hyperconnexion n’a rien de bon. De jour – et malheureusement souvent aussi de nuit –, qui n’est pas tenté de consulter son téléphone dès qu’il émet un de ses fameux petits bruits ? Notifications d’applications, mails, SMS… tout est bon à se mettre sous la dent quand on est accro aux cyberespaces et aux réseaux sociaux. Le problème n’est pas tellement de les consommer, mais d’en être totalement dépendant.

Testez la déconnexion

Allez… Un peu de courage et éteignez votre téléphone portable pendant une vingtaine de minutes. Profitez de ce temps pour vaquer à l’occupation de votre choix, puis rallumez-le. Constatez si pendant ce laps de temps, vous avez reçu une information importante et/ou urgente à traiter. Si ce n’est pas le cas, il ne vous reste plus qu’à réitérer l’expérience chaque jour pour gagner près d’une demi-heure de votre temps.

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Tout doux sur la lumière bleue

La lumière naturelle ou artificielle est composée de particules électromagnétiques qui se déplacent par ondes. Plus ces dernières sont courtes, plus elles produisent d’énergie. Partie intégrante du spectre lumineux, la lumière bleue a l’une des ondes les plus courtes. Elle produit donc beaucoup d’énergie.

Bien que les yeux soient équipés pour se protéger des rayons lumineux, les filtres naturels dont ils disposent ne sont pas assez performants pour faire barrage à la lumière bleue émise par le soleil. A fortiori par celle des écrans numériques que la plupart des gens fixent entre deux et six heures par jour. À petite dose, la lumière bleue n’est pas nocive mais à haute dose, elle abîme la rétine.

Il faut savoir aussi que passer seulement deux heures devant une télé, un ordinateur, une tablette ou un smartphone accroît la fatigue physique, surtout quand la consommation d’écrans se fait le soir. En effet, des recherches ont été menées sur les conséquences de la lumière bleue sur la production de mélatonine, l’hormone du sommeil. Fixer un écran en soirée diminue la production de cette hormone et perturbe le cycle circadien. À savoir le rythme éveil/sommeil.

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Pratiquer la politique du renoncement

Oscar Wilde disait qu’il pouvait résister à tout, sauf à la tentation. Il est en effet difficile de résister à l’appel de cette sirène lorsqu’elle chante la promesse du plaisir. Il y a la tentation de déguster un gâteau au chocolat même quand on est au régime, mais il y a aussi celle d’accepter de sortir faire la fête même quand on a très mal dormi la veille ou d’interrompre un moment de concentration pour décrocher le téléphone même quand celui-ci affiche « appel masqué » ou « numéro inconnu ».

Oui, nous cédons tous à la pulsion de l’envie ou de la curiosité, que le bénéfice soit immédiat ou hypothétique.

Seulement voilà : les promesses hypnotiques de la tentation peuvent s’avérer être des outils de corruption mentale. Pas morale, mais mentale. Ils dispersent les pensées et se rendent bien souvent susceptibles de nous faire perdre notre temps dans les dédales du superflu.

C’est là que la politique du renoncement devient intéressante, car elle peut rectifier les mauvais tirs dans la logistique du quotidien. Renoncer ne signifie pas capituler à tout jamais. Il s’agit seulement de ne pas surcharger des journées déjà bien remplies. À quoi bon en effet rajouter un rendez-vous entre deux si celui-ci peut attendre un jour ou deux ? Un peu comme on déleste une nacelle de montgolfière de quelques gros sacs quand on veut prendre de la hauteur, renoncer revient à faire le tri dans ses priorités et à lâcher ce dont nous n’avons pas, sur le moment, réellement besoin. Aux questions : « Qu’ai-je à y gagner ? », « Est-ce que ça peut attendre tout à l’heure, demain ou plus tard ? », « Suis-je en état de… ? », les réponses qui nous viennent spontanément ne tolèrent pas le doute. Si notre petite voix intérieure susurre Non ou Peut-être, nous avons tout intérêt à lui faire confiance et à l’écouter.

Il y a un autre visage du renoncement salutaire. C’est celui qui consiste à ne pas s’obstiner inutilement. À trop vouloir renverser une montagne ou remonter un fleuve à contre-courant, on finit par s’épuiser tout en perdant son temps. La persévérance ayant ses limites, inutile donc de s’acharner contre la volonté d’autrui quand celle-ci s’oppose radicalement à la nôtre. Idem lorsque les circonstances ne sont pas favorables à la réalisation d’un dessein. Certes, tenter le succès relationnel, affectif ou professionnel est pavé de nobles intentions. Sous réserve ? De ne pas s’entêter aveuglément lorsqu’il refuse de venir. Il y a parfois du bon à laisser tomber certains de ces objectifs au profit d’autres plus réalisables.

Chasta DOUCHARD

Ambassadrice de PEPA Education Agency