La présence : Ne te contente pas d’agir, sois là

Bien souvent, nous nous voyons très empathiques envers ceux qui nous entourent. Nous croyons dire les mots qu’il faut, nous pensons poser les actions comme nous le devons quand l’un de nos proches nous fait part de ses mésaventures. Pourtant, il nous arrive de nous tromper sur toute la ligne. Ce que nous considérons comme de l’empathie est bien loin d’être une simple écoute auditive suivie d’une réaction intellectuelle, c’est plutôt le fait de ” faire le vide dans notre esprit et d’écouter de tout notre être.”

“Les mots sont des fenêtres (ou bien ce sont des murs)” est un livre d’auto-assistance écrit par Marshall B. Rosenberg. L’auteur y propose un remède à la violence qui se manifeste un peu partout dans le monde et sous différentes formes. Son fameux remède : La Communication Non Verbale (CNV). Inspiré par les comportements et les paroles de tous ceux qui la pratique spontanément, il a mis au point un art du dialogue fondé sur l’empathie et l’authenticité.

Osons lire dix pages Avec l’ambassadrice Chasta DOUCHARD

Marshall B. ROSENBERG. Les mots sont des fenêtres (ou bien ce sont des murs). 2016. (p.50-52)

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L’empathie est une façon de comprendre avec respect ce que les autres vivent. Selon le philosophe chinois Tchouang-Tseu, l’empathie véritable exige que l’on écoute de tout son être : « L’écoute exclusivement auditive est une chose. L’écoute intellectuelle en est une autre. Mais l’écoute de l’esprit ne se limite pas à une seule faculté – l’audition ou la compréhension intellectuelle. Elle requiert un état de vacuité de toutes les facultés. Lorsque cet état est atteint, l’être tout entier est à l’écoute. On parvient alors à saisir directement ce qui est là, devant soi, ce qui ne peut jamais être entendu par l’oreille ou compris par l’esprit. »

Dans la relation à l’autre, il n’y a empathie qu’à partir du moment où nous parvenons à écarter tous préjugés et jugements à son égard. Martin Buber, philosophe israélien d’origine autrichienne, décrivait cette qualité de présence que la vie exige de nous : « Malgré toutes les ressemblances, toute situation de vie a, comme un nouveau-né, un visage unique, qui n’a jamais existé auparavant et que l’on ne retrouvera jamais plus. Elle appelle une réaction qui ne peut être préméditée. Elle ne demande rien qui appartienne au passé.

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Elle appelle une présence, une responsabilité. Elle appelle l’être tout entier. » Il n’est pas facile de soutenir cette qualité de présence que requiert l’empathie. « La capacité à accorder son attention à quelqu’un qui souffre est quelque chose de très rare et de très difficile. C’est presque un miracle.

C’est un miracle, affirmait la philosophe française Simone Weil. Parmi tous ceux qui pensent posséder cette capacité, rares sont ceux qui l’ont. » Au lieu de témoigner de l’empathie, nous avons tendance à nous laisser aller à donner des conseils ou à rassurer et à exposer notre propre opinion ou sentiment. Or l’empathie veut que nous portions toute notre attention sur le message de l’autre, que nous accordions à l’autre le temps et l’espace dont il a besoin pour s’exprimer pleinement et se sentir compris. Un précepte bouddhiste décrit bien cette capacité : « Ne te contente pas d’agir, sois là. »

Lorsque l’on a besoin d’empathie, il est souvent frustrant d’avoir en face de soi quelqu’un qui part du principe que l’on veut être rassuré ou obtenir une « recette miracle ». J’ai à cet égard reçu une leçon de ma fille, qui m’a appris à m’assurer de ce que demande mon interlocuteur avant de proposer un conseil ou des paroles de réconfort. Un jour qu’elle se regardait dans un miroir, je l’entendis dire : « Je suis laide comme un pou ! »

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« Allons ! répondis-je. Tu es la plus belle créature que Dieu ait mise sur terre. » Elle me fusilla du regard et, exaspérée, s’exclama : « Oh, je t’en prie, papa ! » Puis elle sortit en claquant la porte. Je compris par la suite qu’elle avait en fait demandé un peu d’empathie. Au lieu de lui offrir un réconfort inopportun, j’aurais pu lui demander : « Es-tu déçue par ton apparence, aujourd’hui ? »

Mon amie Holley Humphrey a repéré un certain nombre de comportements classiques qui nous empêchent d’offrir à l’autre une qualité de présence suffisante pour établir avec lui une relation d’empathie. Voici quelques exemples d’obstacles de ce type.

Conseiller : « Je pense que tu devrais… » « Pourquoi n’as-tu pas… ? »

Surenchérir : « Oh, ce n’est rien, ça. Regarde, moi… »

Moraliser : « Tu pourrais tirer parti de cette expérience si tu… »

Consoler : « Ce n’était pas ta faute. Tu as fait de ton mieux. »

Dévier sur des anecdotes : « Ça me rappelle l’époque où… »

Clore la question : « Allons, remets-toi. Ne fais pas cette tête. »

Compatir : « Oh, mon pauvre… »

Interroger : « Quand est-ce que ça a commencé ? »

Expliquer : « Je t’aurais bien appelé, mais…»

Corriger : « Ça ne s’est pas passé comme ça. »

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Dans son ouvrage “Pourquoi le malheur frappe ceux qui ne le méritent pas”, le rabbin Harold S. Kushner raconte combien il lui fut douloureux, alors que son fils agonisait, d’entendre des paroles censées atténuer sa douleur. Mais il lui fut plus pénible encore de reconnaître que, depuis vingt ans, il disait exactement les mêmes choses à ceux qui traversaient ce type d’épreuve !

Dès lors que nous pensons devoir résoudre des situations et réconforter les autres, nous ne pouvons plus être présents. Cet écueil nous guette tout particulièrement lorsque nous remplissons un rôle de conseiller ou de psychothérapeute.

Travaillant un jour avec vingt-trois professionnels de la santé mentale, je leur demandai d’écrire mot pour mot ce qu’ils répondraient à un patient qui leur dirait : « Je me sens très déprimé. Je ne vois aucune raison de continuer à vivre. » Je ramassai les « copies » et annonçai : « Je vais maintenant lire à haute voix ce que chacun d’entre vous a écrit. Mettez-vous dans la peau du patient qui a exprimé son sentiment de dépression et levez la main dès que vous entendrez une réponse qui vous donne le sentiment d’avoir été compris. » Sur les vingt-trois réponses, seules trois suscitèrent des réactions favorables.

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Les autres étaient pour la plupart des questions telles que : « Depuis quand êtes-vous dans cet état ? » Elles donnent l’impression que le psychothérapeute cherche à cerner les données qui lui permettront de poser son diagnostic, puis de traiter le problème. Or cette approche intellectuelle exclut la qualité de présence que requiert l’empathie. Lorsque nous analysons ses paroles et que nous cherchons à les intégrer à nos théories, nous observons l’autre, mais nous ne sommes pas avec lui. L’empathie est avant tout fondée sur la présence :
nous sommes pleinement présent à l’autre et à ce qu’il éprouve.

Voici les trois réponses qui obtinrent l’aval des psychothérapeutes : sur le premier billet, il était simplement indiqué « Silence, avec attention non verbale clairement portée vers le patient » ; sur le deuxième on pouvait lire « Vous êtes apparemment au bout du rouleau et la seule envie qui vous reste, c’est de trouver n’importe quel moyen pour arrêter de souffrir, c’est ça ? » et sur le troisième : « Est-ce que vous vous sentez désespéré au point que vous n’arrivez plus à trouver de sens à votre vie ? »

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Cette qualité de présence distingue l’empathie de la compréhension intellectuelle ou de la sympathie. Si nous pouvons parfois choisir de compatir avec l’autre en partageant ses sentiments, il convient de garder à l’esprit qu’il s’agit de sympathie, et non pas d’empathie.
L’approche intellectuelle entrave l’empathie.

En communication non verbale, quels que soient les mots que l’individu choisisse pour s’exprimer, nous écoutons ses observations, ses sentiments et ses besoins, et ce qu’il demande afin que sa vie soit plus belle.

Imaginez que vous ayez prêté votre voiture à un nouveau voisin qui vous aurait assuré en avoir un besoin urgent. Votre famille l’apprend et réagit violemment : « Quel idiot tu fais ! Comment peux-tu faire confiance à un inconnu ? » Nous pouvons nous mettre à l’écoute des sentiments et des besoins des membres de la famille, au lieu de nous accabler de reproches en prenant le message au pied de la lettre, ou de critiquer et juger les autres.

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Dans cette situation, ce que la famille observe et ce à quoi elle réagit est évident : prêter une voiture à un parfait inconnu. Dans d’autres situations, il arrive que cela ne soit pas aussi clair. Si un collègue nous dit : « Tu ne sais pas travailler en équipe », nous ne savons pas forcément ce qu’il observe, bien que dans la plupart des cas nous puissions deviner ce qui est à l’origine de cette réflexion.

L’échange suivant, tiré d’un atelier, montre combien il est difficile de concentrer son attention sur les sentiments et les besoins des autres lorsque nous avons été habitués à nous sentir responsables de leurs sentiments et à nous sentir visés par leurs réflexions. Dans ce dialogue, l’épouse souhaitait apprendre à entendre les sentiments et besoins qui se cachaient derrière certaines réflexions de son mari. Je lui proposai de deviner, puis de vérifier avec lui.

RÉFLEXION DU MARI : À quoi bon discuter ? Tu n’écoutes jamais.

ÉPOUSE : Tu n’es pas content de moi ?

MARSHALL : Lorsque vous dites « de moi », vous impliquez que ses sentiments proviennent de ce que vous avez fait. Je préférerais que vous disiez :
« Es-tu mécontent parce que tu avais besoin de… ? » Cela vous permettrait de porter votre attention sur ce qui se passe chez lui, et vous risqueriez moins de vous sentir visée par sa réponse.

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ÉPOUSE : Mais que pourrais-je lui dire ? « Es-tu malheureux parce que tu… ? » Et après ?

MARSHALL : Cherchez un indice dans le message de votre mari : « À quoi bon discuter avec toi, tu n’écoutes jamais. » De quoi a-t-il besoin qu’il n’obtient pas lorsqu’il dit cela ?

ÉPOUSE : (S’efforçant d’écouter avec empathie les besoins exprimés dans le message de son mari.) : Es-tu mécontent parce que tu as l’impression que je ne te comprends pas ?

MARSHALL : Remarquez que vous vous concentrez sur ce qu’il pense et non sur ce dont il a besoin. Il me semble que vous trouverez les gens moins menaçants si vous entendez ce dont ils ont besoin, plutôt que ce qu’ils pensent de vous. Au lieu d’entendre qu’il n’est pas heureux parce qu’il pense que vous n’écoutez pas, concentrez-vous sur son besoin en disant : « Es-tu mécontent parce que tu as besoin… ? »

ÉPOUSE : (Réessayant.) Es-tu mécontent parce que tu as besoin d’être entendu ?

MARSHALL : C’est ce que j’avais à l’esprit. Est-ce que cela fait une différence pour vous de l’entendre de cette façon ?

ÉPOUSE : Tout à fait, une grande différence. Je vois ce qui se passe chez lui sans entendre que j’ai fait quelque chose de faux.”

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Après avoir écouté et entendu ce que l’autre observe, ressent, désire et demande pour rendre sa vie plus conforme à ses vœux, peut-être aurons-nous envie de lui dire en le paraphrasant ce que nous avons compris.

La communication non verbale propose d’énoncer notre paraphrase à la forme interrogative, afin de dire ce que nous avons compris tout en invitant notre interlocuteur à apporter d’éventuelles corrections. Les questions peuvent ainsi porter sur :

A. Ce que l’autre observe : « Veux-tu parler du nombre de soirées où j’étais absent la semaine dernière ? »

B. Ses sentiments et les besoins qui les provoquent : « Es-tu blessé parce que tu aurais aimé obtenir plus de reconnaissance pour tes efforts ? »

C. Ce que l’autre demande : « Veux-tu que je te dise pourquoi je t’ai dit cela ? »

En posant ces questions, nous essayons de deviner ce qui se passe chez
notre interlocuteur, tout en l’invitant à rectifier le tir au cas où nous nous tromperions. Remarquez la différence entre ces questions et celles qui suivent :

a) « Auxquels de mes actes fais-tu référence ? »
b) « Comment te sens-tu ? » « Pourquoi te sens-tu ainsi ? »
c) « Que veux-tu que je fasse ? »

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Avec des questions de ce type, nous sollicitons des informations sans chercher à comprendre la réalité que perçoit notre interlocuteur. Bien qu’à première vue elles puissent sembler être la façon la plus directe de nous mettre en contact avec ce qui se passe chez lui, je me suis rendu compte qu’elles ne constituent pas le moyen le plus sûr d’obtenir les informations que nous recherchons. Dans bien des cas, elles risquent de donner à l’autre l’impression d’être confronté à un professeur qui le soumet à un examen ou à un psychothérapeute qui « étudie un cas ».

Si toutefois nous choisissons de lui poser ce type de questions, il se sentira plus en confiance si nous commençons par lui exposer nos propres sentiments et les besoins qui motivent nos questions. Ainsi, au lieu de demander « Qu’est-ce que j’ai fait ? » nous pourrions dire : « Je me sens frustrée, parce que je voudrais savoir plus précisément à quoi tu fais référence. Voudrais-tu me dire lesquels de mes actes t’ont mené à me considérer de la sorte ? » Si cette formulation n’est pas toujours nécessaire – ni même utile – lorsque le contexte ou le ton de la voix expriment clairement nos sentiments et nos besoins, je ne saurais trop la recommander lorsque les questions que nous posons comportent une forte charge émotionnelle.

Lorsque nous demandons des informations, il nous faut commencer par exprimer les sentiments et les besoins qui nous motivent.

Chasta DOUCHARD Ambassadrice | PEPA Education Agency