La parole, une force redoutable à ne jamais sous-estimer
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Mon engagement dans l’enseignement de la prise de parole en public […] a une seconde raison : je crois que débattre, c’est le contraire de se battre. En aidant chacun à exprimer sa pensée de façon plus exacte, plus précise, plus argumentée, en bannissant les invectives et les propos rudimentaires, j’ai la conviction que l’on facilite le débat, et que l’on parvient à faire reculer les violences qui naissent de l’incompréhension. De la même façon que la parole peut nous diviser, elle doit aussi pouvoir nous réunir. Non pas dans le consensus – parce qu’il faut discuter de tout, y compris des goûts et des couleurs, et que l’on ne supprime pas les désaccords en les dissimulant, bien au contraire – mais dans le goût partagé de la controverse. Parlons, parlons, et faisons ainsi des mots une arme de cohésion massive !
Enseigner l’art oratoire, c’est d’abord répondre à la question de savoir s’il s’enseigne, s’il est transmissible. Cette question est délicate. Il y a dans la parole une part irréductible de don. C’est pourquoi on parle d’art oratoire, et non de technique. Certaines personnes ont la chance d’avoir naturellement du charisme, de l’aisance, une capacité à focaliser l’attention et les regards. D’autres n’ont pas ces dons. C’est ainsi. Mais il en va de la parole comme de tout art : le don n’est rien sans le travail.
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Quel que soit son niveau de départ, j’ai la conviction ferme que l’on peut progresser pour gagner en confiance en soi et en force de conviction. J’ai vu tant d’étudiants bredouillants devenir sinon des tribuns, du moins des jeunes capables d’exprimer clairement et de façon percutante leurs convictions.
Et d’une certaine façon, mon parcours illustre aussi la possibilité d’une réconciliation avec la parole.
Je suis enfant unique. On ne parle pas de la même façon avec des adultes et avec des enfants. On peut se réfugier dans la parole d’enfant. Il y a une spontanéité, une complicité dans la parole entre frères et sœurs, entre cousins. Avec un adulte, la parole est d’emblée teintée d’autorité, connotée par l’idée d’une hiérarchie, d’une supériorité. La parole n’a rien de naturel, de joyeux ou d’enthousiaste, elle est toujours sanctionnée par le jugement d’un parent ou d’un professeur.
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Précisément parce que l’école survalorise l’écrit au détriment de l’oral – ce n’est pas nouveau, Paul Valéry s’étonnait déjà de « notre négligence dans l’éducation de la parole », ajoutant : « Cependant qu’on exige le respect de la partie absurde de notre langage, qui est sa partie orthographique, on tolère la falsification la plus barbare de la partie phonétique, c’est-à-dire la langue vivante » – s’est naturellement instillée dans mon esprit l’idée que la parole était une compétence assez secondaire. Puisque ce n’était pas noté, c’est sans doute que ce n’était pas très important…
D’où, probablement, une histoire d’amour contrariée avec la parole. Convaincu qu’elle était futile, je l’ai ignorée, et elle me l’a bien rendu ! J’ai longtemps eu le plus grand mal à prendre la parole en public, les rares fois où c’était malgré tout nécessaire. De ces occasions, je n’ai des souvenirs que de tensions, de mains moites, de jambes qui se dérobent, de gorge sèche et de voix qui tremble. Bref, rien de très engageant. C’est dire que véritablement, la parole a été pour moi une révélation tardive, et que j’ai pour elle la foi ardente des convertis ! Plus on a été timide au départ, plus on aime la parole quand elle est devenue votre alliée et plus on a envie de la transmettre aux jeunes générations.
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C’est parce que j’ai l’impression d’avoir perdu des années à apprivoiser les mots, à tenter maladroitement, empiriquement, de trouver les chemins d’une prise de parole apaisée et naturelle, que je mets un point d’honneur à transmettre ce que j’ai appris « sur le tas » aux jeunes pour qu’ils ne fassent pas les mêmes erreurs que moi.
Bien parler suppose un entraînement, des techniques pour être à l’aise en public, mais aussi pour structurer un discours, le délivrer avec aisance, convaincre en toutes circonstances.
Puisez dans ce livre de bons conseils pour nourrir votre parole.
Avec, au fond, une conviction chevillée au corps : la parole est votre meilleure alliée, apprivoisez-la, libérez-la. Devenez orateurs ! Si j’y suis arrivé, vous pouvez le faire !
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Le non verbal
Parler, c’est d’abord être vu. Chacun peut en faire l’expérience : regardez un orateur à la télévision, coupez le son, et rien qu’en observant son attitude, ses gestes, ses mimiques, vous aurez une idée assez précise de la tonalité de son propos. Mettez le son en écoutant un discours dans une langue que vous ne connaissez pas, et l’impression sera encore plus frappante. C’est dire que les mots ne font pas tout. Des études très sérieuses ont été menées sur cette question, et ont conclu que la force de conviction d’un discours passait à 60 % par le langage du corps, à 30 % par les inflexions de la voix (ce que l’on appelle la prosodie) et à 10 % seulement par les mots eux-mêmes. En somme, un orateur est d’abord vu, ensuite entendu, et enfin seulement compris.
Le discours, au sens le plus large, commence donc dès que l’orateur apparaît aux yeux de l’auditoire. D’où l’importance de soigner les conditions de cette apparition. La parole est nécessairement mise en scène, et dans cette mise en scène, tout compte, tout fait sens, tout est signifiant.
Ainsi, le lieu de départ : vais-je arriver des coulisses (ce qui cultive une forme de mystère : on ne sait pas ce qui s’est passé avant et littéralement « j’apparais »), du fond de la salle (pour prendre le temps de la traverser), des premiers rangs du public (pour montrer que je suis issu du public, et que je parle en son nom) ?
Aussi le lieu d’arrivée. D’où vais-je parler : d’une scène surélevée (ce qui me distingue du public) ou du niveau du sol ? Derrière un pupitre ou sans pupitre (donc sans notes) ? Avec micro ou sans micro ? Assis ou debout ? Comment vais-je me positionner par rapport au public : va-t-il me faire face, m’entourer, sera-t-il dans la lumière ou dans la pénombre ? Et dans une réunion de travail, où vais-je m’installer ? Ce n’est pas pour rien que, dans les assemblées parlementaires, les élus se regroupent « géographiquement » par affinités : dis-moi d’où tu parles, et je te dirai qui tu es !
L’attitude corporelle de l’orateur avant de discourir est également significative : a-t-il le visage fermé ou au contraire souriant, arrive-t-il en marchant lentement ou rapidement ?
Toutes ces considérations peuvent apparaître anecdotiques, mais elles sont en réalité déterminantes. L’orateur a déjà dit beaucoup avant même d’avoir prononcé le premier mot. […]
Chasta DOUCHARD
Ambassadrice de PEPA Education Agency