Approches pour étudier la lecture selon différents types de chronométrie

La méthode de recherche en lecture la plus utilisée est la chronométrie mentale. Cette technique consiste à mesurer les processus mentaux impliqués dans la lecture à travers les temps de réaction et les taux d’erreur lors d’une tâche de lecture. Des techniques chronométriques différentes sont employées pour étudier la lecture.

La lecture commence dans la rétine, dont la structure impose des contraintes sévères sur la reconnaissance visuelle des mots. Seule sa partie centrale, la fovéa, a une résolution suffisante pour l’identification visuelle des lettres minuscules. C’est pourquoi notre regard bouge constamment pendant la lecture. Des études montrent que la fovéa peut saisir “3-4 lettres à gauche et 7-8 lettres à droite” du point de vue.

Ces données sont confirmées depuis longtemps par l’étude des mouvements oculaires, qui permet de suivre activement les performances de lecture en temps réel. Les mouvements oculaires sont caractérisés par des pauses ou des fixations et des saccades, car l’œil ne se déplace pas de façon linéaire et continue, mais va d’un lieu de fixation à un autre. Les études d’eye-tracking observent des sujets en situation de lecture et cherchent à mesurer les types de saccades produites par le lecteur ainsi que la durée des fixations. Environ 15 % des saccades sont de type régressif. La durée de la fixation est influencée par le statut grammatical des mots : les déterminants et les prépositions, qui sont des mots courts fréquemment utilisés dans la langue, sont fixés pour une courte durée, compte tenu du contenu informationnel plus limité qu’ils véhiculent. A l’inverse, les verbes et les noms des mots qui contiennent des informations essentielles pour comprendre le sens d’une phrase sont fixés plus longtemps, les premiers l’étant encore plus que les seconds. Il en est de même des mots polysémiques ou dont la présence est imprévisible dans le contexte ainsi que des anaphores (ensemble de vers ou de phrases qui commencent par le même mot ou par le même syntagme). Par exemple, lire un passage comme “Rome, le seul objet de mon ressentiment !” Rome, à qui ton bras vient immoler mon amant ! Rome qui vous a vu naître et que votre cœur adore ! Enfin, Rome que je déteste parce qu’elle vous honore ! conduit à des temps de fixation plus longs, car il nécessite une prise de décision lexicale.

Tâche de décision lexicale

Dans une tâche de décision lexicale, le lecteur doit décider le plus rapidement possible et avec le moins d’erreurs possible, si la séquence de lettres qui lui est présentée est un mot de sa langue ou non ; les temps de réponse et les pourcentages d’erreur sont calculés. Cette technique largement utilisée a l’avantage de permettre à l’expérimentateur de manipuler les caractéristiques physiques et linguistiques du stimulus (sa longueur, sa fréquence, sa complexité morphologique ou sémantique, etc.) et de mesurer l’impact de ces manipulations sur les performances de lecture.

Tâche de lecture à voix haute

Dans une tâche de lecture à voix haute nécessitant une prononciation immédiate, un lecteur est invité à prononcer le plus rapidement possible et avec le moins d’erreurs possible, un mot présenté sur un écran d’ordinateur. Au cours de cette tâche, les latences de prononciation (temps écoulé entre la présentation du mot et le début de la réponse verbale) et les pourcentages d’erreurs sont calculés. Cette technique de chronométrie mentale est la seule à faire appel à la fois aux processus perceptifs (lecture) et aux processus de production (prononciation). Pour distinguer l’apport des deux processus, une tâche de prononciation différée est souvent réalisée en complémentarité avec la tâche de prononciation immédiate. Dans la tâche de prononciation différée, le lecteur doit retenir le mot qui lui est présenté jusqu’à ce qu’un repère visuel apparaisse (de 500 millisecondes à 1,5 seconde après la présentation du stimulus), lui indiquant quand donner sa réponse verbale. Les résultats obtenus dans la tâche de prononciation retardée sont ensuite comparés aux résultats obtenus dans la tâche de prononciation immédiate et certaines conclusions peuvent être tirées : si une différence entre deux types de mots (par exemple entre des mots de haute et de basse fréquence) n’est observée que dans la tâche de prononciation immédiate, mais pas dans la tâche de prononciation retardée, cela sera attribué aux processus de perception et d’identification ; à l’inverse, si la différence est présente dans les deux tâches, elle sera attribuée aux processus de prononciation et d’articulation.

Tâche d’identification perceptive

La tâche d’identification perceptive consiste à présenter très brièvement au lecteur un mot visuellement dégradé et à lui demander de l’identifier. Les variables mesurées dans cette tâche sont le pourcentage d’identifications corrigées ainsi que le temps d’identification. Les études employant cette tâche permettent de mieux comprendre le processus d’encodage et d’identification visuelle des mots.

Tâche de catégorisation sémantique

Dans une tâche de catégorisation sémantique, le lecteur doit déterminer si un mot appartient ou non à une catégorie sémantique désignée. La tâche se déroule de telle sorte que le nom d’une catégorie sémantique telle que « FLEUR » soit présenté au sujet suivi d’un mot tel que « rose » ; le sujet doit alors déterminer le plus rapidement possible et avec le moins d’erreurs possible si le second mot appartient ou non à la catégorie sémantique présentée précédemment. Comme cette tâche met l’accent sur les informations sémantiques, elle est fréquemment utilisée pour étudier le codage en mémoire des informations lues. Il convient toutefois de noter que cette tâche présente plusieurs inconvénients, tels que confondre les processus de perception et d’identification avec les processus de jugement sémantique, créer des effets d’amorçage qui ne sont pas pris en compte dans les données et mesurer qu’un autre a choisi ce simple accès au sens de le mot. Cette technique doit donc être utilisée en connaissance de cause et en prenant les précautions nécessaires pour minimiser les inconvénients qui y sont associés.

Neuropsychologie cognitive (ou étude des lésions cérébrales)

La technique de neuropsychologie cognitive appliquée à la lecture consiste à tenter de relier les troubles de la lecture observés chez les patients cérébrolésés à leurs déficiences anatomiques. Un concept souvent utilisé pour y parvenir est le concept de double dissociation. En général, ce concept utilisé dans plusieurs domaines d’études dit que si une manipulation expérimentale A affecte une variable X, mais pas une variable Y et qu’une manipulation expérimentale B affecte la variable Y, mais pas la variable X, il est possible de conclure que les variables X et Y sont indépendantes l’une de l’autre. Dans l’étude des lésions cérébrales, la double dissociation prend le plus souvent la forme d’une démonstration que la lésion d’une structure A du cerveau est associée au déficit d’une fonction X (e.g. lecture de non-mots), mais pas à un déficit de une fonction Y (par exemple lecture de mots irréguliers), alors que la lésion d’une structure B du cerveau est associée à un déficit de la fonction Y, mais pas de la fonction X, ce qui permet de conclure à la fois que X et Y fonctionnent sont distincts et qu’ils sont situés dans différentes parties du cerveau. Cette technique est largement utilisée pour identifier les régions cérébrales impliquées dans le processus de lecture et pour tester et affiner des modèles théoriques de lecture, la neuropsychologie cognitive ayant notamment servi à étayer l’existence du modèle de lecture bidirectionnelle de Coltheart.

Imagerie cérébrale

L’utilisation de l’imagerie par résonance magnétique fonctionnelle (IRMf) a permis de déterminer le rôle des aires cérébrales impliquées dans le clivage phonologique et dans le stockage des informations sonores en mémoire, ce qui a conduit à établir des liens entre les structures anatomiques et la lecture performance. L’imagerie cérébrale a notamment permis de découvrir qu’un problème de liaison entre les régions cérébrales affecte la capacité à discriminer les sons, ce qui se traduit par une modification anatomique plus ou moins visible, mais largement suffisante pour provoquer des difficultés lors de la parole. apprendre à lire.

Approche computationnelle (simulations)

L’approche computationnelle permet de tester des modèles théoriques de lecture en simulant des résultats expérimentaux sur ordinateur. Cette approche présente de nombreux avantages : elle oblige le chercheur à expliciter ses hypothèses, elle permet de tester la cohérence interne d’un modèle théorique, elle peut prédire des effets cachés ou trop complexes pour être détectés par l’homme et, enfin, elle rend permet de tester rigoureusement plusieurs modèles en compétition. Il convient toutefois de noter que l’approche computationnelle ne doit jamais remplacer la collecte de données empiriques sur les êtres humains, mais doit plutôt la compléter.

Méthodes utilisées après la lecture d’un texte

L’objectif principal de ces méthodes est de tester le contenu des représentations mentales construites par le lecteur au cours de sa lecture.

Reconnaissance

Dans cette méthode, le lecteur est appelé à identifier parmi les mots ou phrases qui lui sont présentés, ceux qu’il a préalablement lus lors de la phase préparatoire de l’exercice. Le pourcentage de bonnes réponses est ensuite calculé.

Rappeler

Dans la méthode de rappel, le lecteur doit écrire ou mentionner ce dont il se souvient par rapport à un aspect d’une histoire qu’il a déjà été invité à lire. Une difficulté rencontrée avec cette méthode est de déterminer des critères de correction à la fois rigoureux et inclusifs, compte tenu de la diversité des réponses possibles.

Tâche d’achèvement

Cette méthode consiste à demander au lecteur de compléter une phrase par le mot le plus approprié, qu’il s’agisse d’un mot de lui-même ou d’un mot d’une liste de suggestions.

Sommaire

Dans cette méthode, le lecteur doit résumer dans ses propres mots un texte qu’il a lu. Cette technique est aujourd’hui abandonnée compte tenu des énormes difficultés de correction liées à la variabilité des réponses données par les lecteurs.

Questionnaire

Cette méthode consiste à poser au lecteur différentes questions sur un texte qu’il vient de lire. Le plus souvent, le temps de latence, c’est-à-dire le temps nécessaire pour répondre à la question, est mesuré, ce qui permet de déterminer le degré de maîtrise du texte par le lecteur. On observe également que lorsque les questions sont posées lors de la lecture du texte, le lecteur comprend mieux le texte et s’en souvient mieux par la suite. Devoir répondre à des questions lors de sa lecture permettrait également au lecteur d’orienter le traitement du texte qu’il est en train de lire. Cette méthode est l’une des plus simples à utiliser et elle a l’avantage de pouvoir se rapporter à différents aspects du texte.

Localisation spatiale et tâche de jugement spatial

Cette tâche vise à tester les représentations spatiales que le lecteur a développées au cours de sa lecture. Au cours de cette tâche, le lecteur doit soit localiser les objets et le personnage principal de l’histoire sur une carte, soit décrire les déplacements effectués par le personnage au cours de l’histoire ou dessiner les lieux et/ou déplacements décrits dans le texte. Le temps de latence est mesuré pour chaque réponse et le degré de précision des réponses est évalué.

Productions non verbales

Cette méthode consiste à demander au lecteur d’effectuer les actions motrices décrites dans un texte. Par exemple, le lecteur devra peut-être suivre les instructions pour réparer quelque chose. La rapidité de réalisation de la tâche, le respect de l’ordre des différentes étapes, le type de manipulations effectuées et le nombre d’erreurs sont les variables qui sont considérées dans cette méthode.

RÉFÉRENCES

Stanislas Dehaene, Les neurones de la lecture : Introduction par Jean-Pierre Changeux, Paris, Odile Jacob, 2007

Jean-Pierre Rossi, Psychologie de la compréhension du langage, Bruxelles, De Boeck, 2008,

Patrick Lemaire, Psychologie cognitive, Bruxelles, Éditions De Boeck Université, 2012

La rédaction de PEPA Education Agency