Le « manque de confiance en soi », un étiquetage insolite
« Quand on partage un même intérêt, le sujet de conversation est tout trouvé. On ne s’expose pas vraiment. L’activité partagée nourrit suffisamment le besoin relationnel pour juguler l’angoisse de la solitude. »
Isabelle FILLIOZAT
Écrivaine, conférencière, psychothérapeute, animatrice d’ateliers pour parents et professionnels de l’enfance, Isabelle FILLIOZAT est auteure de nombreux livres dont plusieurs best-sellers comme L’intelligence du cœur, titre précédemment présenté au numéro 10 de la rubrique Osons lire dix pages (cf. Affirmer son identité pour défendre son intégrité).
Par ailleurs, dans le numéro que voici, nous allons découvrir ensemble ce que nous enseignent dix pages de ce fameux ouvrage d’auto-assistance intitulé : « Fais-toi confiance »…
FILLIOZAT, Isabelle. Fais-toi confiance. 2019. Poche Marabout. (p. 21-31)
Osons lire dix pages avec Ambassadrice Chasta DOUCHARD
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Les risques de l’étiquetage
« Je manque de confiance en moi. » À chaque fois qu’il était amené à s’exposer en public, à parler devant un micro, Christophe éprouvait toutes sortes de sensations corporelles qui le terrifiaient : battements de cœur, chaleur dans la poitrine…
Excellent animateur de radio, adorant son métier, il était démuni devant ce qu’il appelait « ses angoisses » et se dopait aux anxyolitiques. Christophe avait en réalité une énergie débordante qu’il lui fallait apprendre à gérer, le trac des « grands » ! Ses réactions physiologiques étaient peut-être un peu plus intenses que la moyenne, ses performances, ses capacités l’étaient aussi ! Il les interprétait comme des manifestations d’une angoisse excessive, ce n’était que préparation à l’excellence. Le problème n’est parfois pas tant un manque de sécurité qu’un manque d’information sur les réactions du corps. Démuni devant ces sensations qu’il n’avait jamais appris ni à reconnaître et encore moins à utiliser, il paniquait. Convaincu que les autres n’étaient pas aux prises avec ces sensations, il se vivait comme différent, voire inférieur… ce qui entraînait un vrai manque de confiance en lui.
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Pour Christophe comme pour nombre de nos contemporains, être bien, être normal, signifierait ne rien éprouver à l’intérieur. Or, peurs, colères, tristesses, mais aussi désir, joie et amour sont associés à des manifestations physiologiques. Si nous ne savons pas les tolérer, la vie nous paraîtra bien fade.
Accélération cardiaque et dilatation des veines pour permettre au sang d’acheminer plus rapidement oxygène et sucre là où il y en a besoin, arrêt de la digestion pour concentrer l’énergie disponible dans le cerveau et les muscles périphériques, notre organisme se prépare à affronter la situation. Certes, il n’est pas toujours utile de déclencher un tel mouvement intérieur. Parfois notre cerveau surdimensionne l’adversaire et aller voir un psy est une bonne idée. Mais un certain nombre de nos réactions sont des réactions physiologiques naturelles et normales de notre organisme.
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L’anxiété, la peur, le trac, le doute, l’inquiétude sont utiles, ils poussent à se dépasser, nous invitent à nous préparer à toutes les éventualités, à repérer les zones à risque dans un projet, ils nous ouvrent les yeux, nous alertent sur des détails susceptibles de nous faire échouer…
Il est dommage d’étiqueter « manque de confiance en soi » l’afflux d’énergie qui nous permet de faire face à la situation, d’intégrer un maximum de données, de sentir « le sens du vent » et les réactions du public à nos paroles. C’est l’étiquette qui nous paralyse, non pas l’émotion. De la même manière que toutes nos palpitations ne sont pas synomymes de manque de confiance en soi, tous nos échecs et difficultés sociales n’y sont pas forcément liés. Or, faute de comprendre les motivations de certaines de nos attitudes, de nos blocages et freins, nous utilisons un peu abusivement le terme de manque de confiance. Cela nous évite de nous poser d’autres questions, plus embarrassantes, ou tout simplement plus inconscientes.
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Géraldine passe son permis de conduire pour la sixième fois. Elle explique ses échecs par son manque de confiance en elle. En effet, dès qu’elle s’assied à côté de l’examinateur, elle stresse. Il est vrai que nombre de gens échouent, paralysés par l’idée du jugement de l’examinateur. Mais trembler le jour de l’examen, commettre des fautes impardonnables, peut avoir d’autres causes. En l’occurrence, pour Géraldine, nous avons mis au jour le souvenir d’un accident dramatique dans sa famille. Sans oser se l’avouer, Géraldine était terrifiée à l’idée d’être la cause d’un accrochage. Elle n’avait jamais osé exprimer sa fureur à ses parents suite à l’accident qui l’avait privée de leur présence pendant de longs mois. Comment dire sa colère à des gens qui ont frôlé la mort ! Oui, mais la petite fille qu’elle était alors aurait eu besoin de pouvoir exprimer sa fureur. Comme elle n’avait que cinq ans, ils ne lui ont jamais non plus vraiment expliqué l’accident. Comment cela s’était passé, qui était responsable… Le problème de Géraldine n’est vraiment pas de l’ordre de la confiance en elle. Des émotions de colère, de peur aussi, sont encore tapies en elle et sont à l’origine de ses échecs au permis. En revanche en n’identifiant pas les véritables causes de ses insuccès répétés, elle va effectivement perdre confiance en elle !
Marc a déjà passé son permis deux fois. Lui aussi dit manquer de confiance en lui lorsque l’examinateur est à ses côtés. En réalité, quand nous explorons sa vie, il évoque ses tendances suicidaires. La vérité lui saute aux yeux. Pour le protéger, son inconscient l’empêche d’obtenir son examen. Une partie de lui n’est pas certaine de ce qu’il ferait avec un volant dans les mains. Ce n’est qu’en décidant vraiment de vivre que Marc a pu enfin s’autoriser à réussir son examen.
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Henriette, elle, est dans une situation conflictuelle. Elle me confie : « Dès que j’obtiens mon permis, je me sépare de mon mari. » Bien évidemment, elle le rate consciencieusement, session après session. Elle est en fait très ambivalente et encore bien trop dépendante de son mari pour oser prendre le risque de le quitter. Chaque insuccès tout à la fois la soulage en éloignant le départ et lui prouve qu’elle n’est pas à la hauteur, incapable de se débrouiller seule, et donc qu’elle a besoin de son mari, ce qui augmente encore sa dépendance. Ce n’est pas vraiment le regard de l’examinateur qui lui fait perdre ses moyens, mais l’enjeu : la séparation.
Jules rate pour d’autres raisons. Il est furieux contre son père, chauffeur de son métier. N’osant pas exprimer sa colère, il le blesse en le décevant ! Inconvénient : plus il échoue, plus il se dévalorise et confirme son père dans sa position dominante.
Les apparences du manque de confiance en soi peuvent masquer des motivations variées. Gare aux interprétations trop rapides… Nos échecs ont parfois un sens caché ! Écoutons cette signification et séparons les enjeux, cela nous évitera de saper inutilement notre confiance en nous.
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Nos stratégies pour apprivoiser nos peurs
La vie est forcément porteuse d’incertitude. Augmentation du rythme cardiaque, tensions, sensations de chaleur dans le sternum, ventre serré… notre corps cherche à s’adapter. Ces sensations corporelles indiquent qu’une question nous est posée. Il s’agit d’un défi, d’une décision à prendre… Prenons-le comme tel et utilisons l’énergie libérée par l’organisme pour fournir l’effort ou la réflexion demandé plutôt que de foncer chez un médecin ou un psy demander des médicaments ou une thérapie pour éteindre toute manifestation physiologique en soi. Si l’angoisse, les phobies, les peurs exagérées se soignent, toutes les réactions de notre corps ne sont pas à combattre, apprenons à tolérer en nous les peurs appropriées. Soit dit en passant, l’angoisse est paradoxalement souvent un paravent pour s’empêcher d’éprouver la peur, de sentir l’insécurité… J’angoisse par exemple sur le fait de sortir seule dans la rue. Ces angoisses prennent tant d’espace qu’elles occultent le fait que je vais mal dans mon couple et que je n’ose rien dire.
Nombre de nos comportements et d’aspects de ce que nous nommons notre « caractère » ne sont que des stratégies de lutte contre la perte de confiance en soi, des tentatives de conserver le contrôle d’une situation plutôt que de s’abandonner à vivre l’incertitude de l’instant. Cela écarte de l’intimité, mais ça rassure.
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Certains fuient les autres, s’enferment dans un mutisme plus ou moins souriant, ils se retirent dans leur tour d’ivoire. D’autres se montrent outrageusement séducteurs ou font les clowns, deviennent le « blagueur de service » et animent les soirées. Nombre de ceux qui font profession de faire rire les autres évoquent à l’origine de cette vocation leur manque de confiance en eux. Pour être certains de se faire accepter, ils ont décidé de faire rire. Certains encore offrent de petits, voire de gros cadeaux, pour se faire aimer… Nous mettons en place toutes sortes de stratégies pour contrôler nos relations aux autres, maîtriser notre inquiétude et éviter l’intimité, qui serait pourtant la seule qui nous permettrait de nous sentir vraiment en confiance.
Dès qu’elle entre dans une pièce, pour juguler son angoisse, Juliette va vers les autres et leur parle. Ce n’est pas forcément parce qu’ils sont à l’aise que les gens vous abordent, mais parce que c’est leur façon de se rassurer. Ils ont découvert que quand on parle avec un autre, on se sent moins seul. Mais quand on a appris dans son enfance à ne pas être entendu, quand on a mesuré combien nos parents s’éloignaient quand nous cherchions à les rejoindre, quand on a eu honte, quand on a été humilié, culpabilisé… on ne croit plus au pouvoir de la relation authentique.
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Chacun développe alors sa manière d’apprivoiser ses peurs. René s’entoure de multiples rituels comme se laver les mains, compter ou placer ses chaussures très précisément à leur place, l’une à côté de l’autre. Roger s’inscrit sur le registre du pouvoir, se montre dominateur, violent, persécuteur. D’autres manipulent à partir d’une position de pouvoir moins évidente. Renaud par exemple endosse un costume de sauveur, il est toujours là pour les autres, il aime aider, il parle peu de lui. Rose s’occupe aussi des autres, elle donne beaucoup mais ne sait pas recevoir. Sylvie se drape dans un vêtement de victime, de fragilité qui invite les autres à prendre soin d’elle. Les jeux de pouvoir rassurent car le résultat en est prévisible. Catastrophique, mais prévisible. Et, quand on a peu de sécurité en soi, mieux vaut une catastrophe prévue et identifiée que l’inconnu.
Hors des jeux de pouvoir, nombre de nos activités sont dictées au moins en partie par le désir de dompter l’incertitude. Martin, passionné de modélisme, passe tout son temps libre sur ses maquettes. Luc est philatéliste, il y consacre ses loisirs et ses pensées. Toutes ses relations sont structurées autour des timbres.
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Reine milite dans une association de protection des animaux, Adeline est fan de plongée sous-marine, tout congé est prétexte à une sortie en mer. Eux et bien d’autres s’investissent à plein dans une passion, dans une association, qui structure leurs loisirs et leur permet de rencontrer des gens dans un cadre bien défini. C’est une façon de recevoir quantité de signes de reconnaissance, d’être en lien avec d’autres, sans vivre l’insécurité des réunions informelles. Quand on partage un même intérêt, le sujet de conversation est tout trouvé. On ne s’expose pas vraiment. L’activité partagée nourrit suffisamment le besoin relationnel pour juguler l’angoisse de la solitude. Nombre de gens trouvent aussi refuge dans une religion qui leur offre tout à la fois des certitudes sur lesquelles s’appuyer et une famille, un groupe d’appartenance. Le succès des sectes est lié à ce besoin de se sentir appartenir, relié, voire guidé. Entouré, stimulé, aimé, on y reprend effectivement une certaine confiance. On y acquiert un statut, les sectes intelligentes confient des responsabilités, on s’y sent important. Le guru vous remarque personnellement… Vous vous sentez élu. Vous sentez naturellement beaucoup de gratitude envers la secte et le guru qui vous ont « tant apporté » sans prendre conscience que tout cela n’était qu’un jeu de pouvoir.
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Il y a d’autres façons de se rassurer, de gérer l’insécurité, de faire face à l’incertitude que d’adhérer à un dogme, de s’enfermer dans une secte, un parti ou un personnage. Apprenons à accepter en nous un « manque de confiance » sain et utile plutôt que d’utiliser force stratégies pour tenter d’effacer en nous et autour de nous toute source de peur ou d’insécurité. La confiance permet de tolérer en soi une certaine dose de peur et d’insécurité. Le vrai confiant n’a pas besoin de séduire, pas besoin de réussir toujours, pas besoin de tout savoir, pas besoin de soumettre autrui, d’organiser en permanence l’espace et le temps, de savoir quoi dire, ou d’avoir raison…
Chasta DOUCHARD | Ambassadrice de PEPA Education Agency