Se libérer de l’overthinking

«Tout peut démarrer, par exemple, après une dispute avec une amie. On commence par se dire : “Comment a-t-elle pu me parler ainsi ? Que signifiait exactement sa phrase ? Comment dois-je réagir ?” Certaines personnes trouvent facilement une réponse à ces questions : “Elle était de mauvaise humeur”, “Elle est comme ça avec tout le monde”, “Je ne dois pas y accorder d’importance” ou “Je vais lui dire qu’elle m’a blessée et puis passer à autre chose”».

Susan Nolen-Hoeksema est une enseignante en psychologie ayant publié plus de cinq livres de ce domaine, dont celui à l’intitulé que voici : Ces femmes qui pensent trop. C’est un titre dans lequel l’autrice accentue sur les dangers de ce phénomène populaire qu’est l'”overthinking”. Elle y présente divers témoignages à ce sujet ainsi que les facteurs déclencheurs, tout en nous prescrivant des méthodes efficaces et concrètes pour nous en libérer.

NOLEN-HOEKSEMA, Susan. Ces femmes qui pensent trop. 2018. Leduc/Poche. (p. 9-18)

Osons lire dix pages de ce chef-d’œuvre avec l’ambassadrice Chasta DOUCHARD

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Depuis les quatre dernières décennies, les femmes ont bénéficié d’une indépendance accrue dans tous les domaines. Nous sommes aujourd’hui plus libres de choisir nos relations, nos carrières, nos modes de vie et le moment où nous voulons avoir des enfants – autant de choix qui paraissaient impossibles aux générations précédentes. Les progrès médicaux nous offrent des qualités de soin et une espérance de vie inégalées. Nous avons toutes les raisons d’être heureuses et confiantes.

Cependant, beaucoup d’entre nous sont parfois submergées d’angoisses, de pensées ou de sentiments qui, échappant à notre contrôle, pompent nos émotions et notre énergie. Nous souffrons alors de ce que l’on appelle une manifestation d’overthinking des torrents de préoccupations et d’émotions négatives qui sapent notre vie quotidienne et notre bien-être. Nos inquiétudes se porient sur des interrogations fondamentales : « Qui suis-je ? Que suis-je en train de faire de ma vie ? Que pense-t-on de moi ? Pourquoi suis-je insatisfaite et malheureuse ? » Bien sûr, il est difficile de répondre à de telles questions. Alors nous traquons chaque indice, réfléchissons pendant des heures.

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Avec pour résultat de nous angoisser encore plus, libérant d’autres sources d’anxiété, plus ou moins grandes : « Mon fils se drogue-t-il ? Pourquoi n’ai-je pas un travail plus enrichissant ? Comment faire pour que mon mari s’intéresse encore à moi ? Pourquoi suis-je incapable de garder mon sang-froid face à ma mère ? »

Ces pensées vont et viennent au gré de nos humeurs mais nous parvenons rarement à en trouver les réponses. Souvent, il suffit d’un seul événement insignifiant pour provoquer des heures ou des jours de torture mentale et de désarroi. Votre patron vous a adressé une remarque sarcastique et vous passez des nuits entières à vous demander ce qu’il a voulu dire, à ressasser votre culpabilité ou votre honte. Un ami a fait un commentaire sur votre poids, aussitôt vous focalisez sur son manque de tact, passez mentalement au crible votre apparence. Votre conjoint est trop fatigué pour faire l’amour… Résultat : des heures d’insomnie à vous interroger sur l’avenir de votre couple.

Cette spirale de méditation morbide touche davantage les femmes que les hommes. Au fil de mes recherches, j’ai constaté en effet que ces dernières sont plus susceptibles de s’y laisser glisser et d’en rester prisonnières. Veronica, par exemple, est une mère au foyer de vingt-sept ans, jolie, avec des cheveux auburn et des yeux bruns pétillants.

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Pour son plus grand plaisir, ses journées sont consacrées à l’éducation de ses jumeaux âgés d’une dizaine de mois et à des activités au sein de sa communauté. Pourtant, lorsqu’elle a du temps libre, elle cède à cet état négatif que j’appelle l’overthinking :

“Quel est mon problème ? Pourquoi suis-je toujours insatisfaite ? Je m’implique sans cesse dans de nouveaux comités, je mets sur pied des activités intéressantes pour mes enfants, mais tout ça me paraît sans intérêt… Qu’est-ce qui ne va pas chez moi ? Est-ce une question hormonale ? Non, ça dure au moins pendant un mois ! Je ne sais pas, peut-être ai-je fait les mauvais choix ? J’ai affirmé vouloir être femme au foyer, mais si je m’étais trompée ? Rick apprécie-t-il vraiment ce que je fais pour les enfants ?”

Au bout de cinq minutes, Veronica se met à penser à ses problèmes de poids, à son couple, à sa vie avant la naissance des jumeaux.

“Jamais je ne perdrai les sept kilos pris pendant ma grossesse. Je suis condamnée à les garder le restant de ma vie. Et ça ne fera qu’empirer avec l’âge. Et si Rick rencontre une fille séduisante à son bureau ? S’il en avait marre de moi ? Comment pourrais-je me débrouiller seule avec les enfants ? Et comment retrouver un emploi ? Je n’ai jamais eu de véritable qualification. Mon travail ne m’a jamais plu et de toute façon, mon patron ne pouvait pas me voir… Les femmes peuvent ruminer sur tout et n’importe quoi – leur apparence, leur famille, leur carrière, leur santé. Elles s’imaginent souvent qu’il s’agit d’une des caractéristiques de leur sexe, d’une de leurs qualités de base, le reflet de leur tendresse naturelle.

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C’est en partie exact, mais l’overthinking est également un poison toxique. Il paralyse nos envies, notre aptitude à régler les problèmes. Il fait fuir nos amis ou nos proches et détruit notre bien-être émotionnel. Les femmes ont deux fois plus tendance que les hommes aux épisodes dépressifs et il semble que leur overthinking chronique en soit l’une des causes. Pourtant, rien ne nous oblige à tomber dans ce travers. Nous avons, si nous le voulons, la capacité de nous dégager de cette manifestation d’hypersensibilité, de sautes d’humeur exacerbées et d’apprendre à reconnaître et à exprimer correctement nos émotions.
Il est toujours possible de les contrôler et de gérer les situations qui nous bouleversent, de garder notre sérénité malgré les conflits, les tragédies et les chaos du quotidien. Rien ne nous interdit de tenir le cap, même dans les plus grosses tempêtes. Chacune d’entre nous a la faculté de diriger sa vie émotionnelle.

Échapper à l’overthinking

Échapper à l’overthinking, c’est comme tenter de se dégager de sables mouvants. Pour retrouver la liberté, la première démarche consiste à desserrer l’étau des pensées qui vous étouffent. La deuxième est de sortir du marécage, de rejoindre la terre ferme et de prendre de la hauteur afin de déterminer la direction que vous voulez donner à votre vie. Enfin, la troisième est d’éviter les pièges qui pourraient vous faire retomber dans cette spirale sans fond. Au fil de ces pages, je donnerai différentes méthodes pour réussir chacune de ces étapes.

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Certaines personnes acquièrent ces stratégies naturellement. Comme Jenny, une agent de change âgée de trente-deux ans. Depuis un an, elle sort avec Sean, un jeune botaniste employé à l’Agence de Protection de l’Environnement de New York. Tous deux adorent recevoir leurs nombreux amis, dans le petit appartement de Sean, dans les faubourgs de la ville. Le jeune homme, ayant invité quelques copains à dîner, vendredi soir, a demandé à Jenny si elle pouvait venir l’aider vers seize heures. Elle a accepté avec plaisir, mais dans l’après-midi s’aperçoit qu’elle est en retard pour envoyer des factures censées partir avant dix-huit heures. Vers quinze heures, elle appelle Sean pour l’avertir. Concentrée sur son travail, elle ne voit pas le temps passer. Quand elle regarde la pendule, il est déjà dix-sept heures quarante-cinq – il ne lui reste que trois quarts d’heure avant l’arrivée des invités. Quand elle arrive essoufflée chez Sean à dix-huit heures vingt, ce dernier l’accueille avec une froideur manifeste. La scène éclate après le départ des convives. Hors de lui, Sean lui assène ses quatre vérités : elle est égoïste, obsédée par sa carrière et indifférente. Jenny trouve sa colère excessive. Au bout d’une demi-heure de reproches incessants, elle s’en va en claquant la porte.

Toute la nuit, elle tourne et retourne cette dispute dans sa tête, éberluée par la cruauté dont Sean a fait preuve. Elle passe en revue toutes les paroles qu’il a prononcées, imagine les réponses sarcastiques qu’elle aurait pu lui faire, se remémore les nombreuses fois où il l’a déçue.

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“Il est complètement à côté de la plaque. Oser me dire que je ne pense qu’à mon boulot ! C’est totalement faux ! Il n’a pas idée de la pression que je subis au bureau et il s’en moque. C’est lui, l’égoïste ! Pourquoi a-t-il invité des gens alors que j’étais occupée ? Il ne pense qu’à lui, qu’à son plaisir. J’aurais dû lui dire qu’il devenait hystérique. Ça l’aurait stoppé net.”

Finalement, Jenny s’endort mais se réveille le lendemain matin, tendue, obsédée par les mêmes pensées, de plus en plus furieuse. Soudain, elle se reprend : « Ça y est ! Je recommence, se dit-elle. Ça ne me mène nulle part. Je dois me contrôler. »

Elle va courir le long de la rivière, histoire de faire le point et de se distraire. De retour chez elle, elle revit mentalement sa dispute avec Sean. Elle parvient à discer-ner les vérités qu’il a prononcées, mais également ce en quoi il a exagéré. Et se rend compte qu’elle tient à lui, que rien et surtout pas une querelle stupide ne doit détruire leur relation. Elle réfléchit à ce qu’elle a envie de lui dire qu’elle l’aime, qu’elle est désolée de l’avoir blessé, mais que ses accusations l’ont bouleversée. Elle imagine les différentes réactions que pourrait susciter en lui chacune de ces paroles, et rapidement sa colère reprend le dessus. Sean lui paraît de nouveau injuste, désagréable. Alors, inquiète de se sentir happée dans un tourbillon de pensées négatives, elle décide de se changer les idées et de remettre à plus tard ces rumi-nations. Après avoir appelé une amie pour se remonter le moral, elle reprend sa réflexion et décide qu’elle est prête à appeler Sean. Elle a l’esprit clair et sa bonne humeur est revenue. La conversation se déroule de façon positive : non seulement elle est capable d’exprimer ce qu’elle a ressenti mais aussi de l’écouter calmement. Finalement, réconciliés, ils prennent rendez-vous pour le lendemain soir.

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Pourtant, au départ, Jenny avait mal abordé cette dispute. À force de penser aux paroles de Sean, à ce qu’elle aurait dû lui répondre, elle n’a fait qu’augmenter sa fureur et son désarroi. Si elle avait poursuivi dans cette voie, elle aurait probablement proféré des mots préjudiciables à sa relation. Mais en utilisant un certain nombre de stratégies pour rompre le cercle vicieux de ses pensées prendre de la hauteur, développer des solutions positives et éviter à nouveau les pièges de l’overthinking, Jenny est parvenue à dépasser son conflit. Plus concrètement, elle s’est libérée de sa rumination en s’accordant une pause. Grâce à une activité physique, le jogging, elle a éliminé ses sentiments négatifs puis pris de la distance avec la dispute proprement dite en se concentrant sur son objectif majeur : sauvegarder sa relation.

Toutes les études que j’ai menées au cours des vingt dernières années m’ont convaincue que la clef d’une vie harmonieuse et saine passe absolument par la gestion de nos émotions négatives. Ces dernières exercent de profondes influences sur nos pensées et nos comportements. Lorsqu’on est triste, on a davantage tendance à noircir les situations présentes. Il est plus dur de réfléchir posément, de prendre des décisions ou même d’accomplir une tâche. Remâcher sa tristesse, c’est risquer d’être entraînée dans le désespoir, le dégoût de soi, l’impuissance et l’immobilisme, de voir des menaces partout, de s’inventer des maladies graves…

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En effet, comment se concentrer assez longtemps sur un objectif lorsque l’esprit vole d’une inquiétude à une autre ? Le danger est d’agir impulsivement ou, à l’inverse, de rester paralysé par la peur. L’anxiété provoque des troubles physiologiques chroniques et handicape la capacité d’action. En se complaisant dans la tristesse, la colère ou l’anxiété, les overthinkers se focalisent sur les pensées créées par leur humeur négative, les tournent et les retournent dans tous les sens. À force de les prendre au sérieux, ce sont elles qui gouvernent leurs prises de décision.

Comment fonctionne exactement l‘overthinking ?

L’overthinking consiste à examiner, interroger ses pensées et sentiments négatifs. À les malaxer comme de la pâte. Tout peut démarrer, par exemple, après une dispute avec une amie. On commence par se dire : « Comment a-t-elle pu me parler ainsi ? Que signifiait exactement sa phrase ? Comment dois-je réagir ? » Certaines personnes trouvent facilement une réponse à ces questions : « Elle était de mauvaise humeur », « Elle est comme ça avec tout le monde », « Je ne dois pas y accorder d’importance » ou « Je vais lui dire qu’elle m’a blessée et puis passer à autre chose ».

Mais les questions peuvent aussi entraîner irrémédiablement d’autres interrogations – c’est ce que j’appelle l’effet levure. On se dit : « Je ne supporte pas d’être fâchée avec elle. Que pense-t-elle de moi ? Et si elle ne change pas d’avis ? » À l’exemple d’une pâte agrémentée de levure, nos pensées négatives gonflent, doublent de volume et progressivement prennent toute la place dans notre esprit.

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Au début, elles se focalisent sur l’événement qui vient d’avoir lieu, mais peu à peu on glisse vers d’autres situations du passé, du présent, brassant pêle-mêle nos doutes les plus intimes. Plus ça va, plus on se torture : « Si je suis incapable de faire face à ce genre de conflit, comment puis-je diriger ma société ? Je me laisse marcher dessus. J’en ai assez mais je suis trop faible pour y remédier… Mes parents ne m’ont jamais appris à me maîtriser. Normal, eux non plus ne savaient pas garder leur sang-froid. »

Franny, une séduisante divorcée âgée de cinquante-cinq ans, succombe fréquemment à cet « effet levure ». Cela commence le plus souvent par des questions concernant son métier de paysagiste. Soucieuse de plaire à sa clientèle exigeante et fortunée, elle passe énormément de temps à s’inquiéter de la qualité de ses plans. Voilà un exemple type de la dérive de ses ruminations : “Je n’ai pas été assez persuasive dans ma présentation du projet. J’aurais dû insister davantage. Ces objections étaient stupides. J’ai cédé. Pourtant, il a dit « c’est encore envisageable ». Que voulait-il dire ? Pourquoi ne lui ai-je pas demandé ? Qu’est-ce que je peux être timorée parfois !”

Puis, Franny se souvient d’anciens clients qui ont critiqué ses plans: “C’est comme ce type qui jugeait mes idées dénuées d’intérêt. Comment osait-il dire ça ? Comment ai-je pu le laisser parler sans réagir? Finalement, il les a acceptées. Il voulait juste montrer qui était le plus fort…”

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Bien que la majorité de sa clientèle apprécie son travail, l’esprit de Franny ne gravite qu’autour de mauvais souvenirs professionnels. Puis, peu à peu, l’entraîne dans une réflexion douloureuse sur sa relation avec Andrew, un homme d’affaires d’origine arménienne qui possède une chaîne de restaurants de luxe végétariens. Intelligent, bourré d’humour, il est très apprécié de ses clients. Franny, qui en est très amoureuse, se demande constamment ce qu’il pense d’elle.

“Il pourrait avoir toutes les femmes qu’il veut célibataires ou mariées. Il est beau, riche et totalement fascinant. Comment ai-je pu me comporter aussi bêtement, le Week-end dernier ? On avait prévu de passer une super journée à faire du bateau mais j’ai trop bu et j’ai pris des coups de soleil. Je devais avoir l’air complètement idiote. J’ai honte de l’avoir embarrassé devant ses amis.”

Après Andrew, Franny pense à son sex-appeal, à sa santé et à son fils de vingt ans. Pourtant, ces deux derniers sujets ne lui posent aucun problème : son récent bilan médical est excellent et elle a passé une soirée très agréable avec son fils, la semaine d’avant. Mais l’esprit de Franny ne parvient à se focaliser que sur les aspects négatifs de sa vie, à savoir qu’elle n’a pas eu d’orgasme lors de son dernier rapport avec Andrew, deux jours plus tôt, que sa mère a probablement une leucémie et que son fils boit un peu trop…

Chasta DOUCHARD, Ambassadrice de PEPA Education Agency