Affirmer son identité pour défendre son intégrité
“Vous vous changez pour l’autre ? Vous choisissez vos vêtements en fonction de lui (d’elle) ? Vous n’allez plus voir que des films qui lui plaisent ? Vous ne cuisinez que ce qu’il (elle) aime ? Vous devenez un prolongement de lui (d’elle). Comment avoir du désir pour lui (elle) puisqu’il (elle) est devenu une partie de vous ?”
“L’intelligence du cœur”, tel est le titre d’un livre d’auto-assistance écrit par l’autrice française Isabelle Filliozat. Dans ce titre, cette dernière nous conseille sur divers sujets du domaine des émotions et nous aide à ne plus nous prendre la tête avec les sentiments de culpabilité, de manque de confiance et toutes les insécurités psychiques qui peuvent nous empêcher d’avancer dans la vie ou même dans l’amour, qui sait!
FILLIOZAT, Isabelle. L’intelligence du cœur. 2013. Marabout Collection. (p. 316-329)
Osons lire dix pages de ce fabuleux titre avec Ambassadrice Chasta DOUCHARD
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Vous admirez un objet en vitrine, hors de portée de votre bourse ; vous voulez arrêter de fumer ; vous faites un régime amaigrissant ; la femme de vos rêves vous repousse ; l’homme de votre vie est marié ; le poste que vous convoitiez est attribué à un autre… Comment gérez-vous la frustration ?
La privation, la non-satisfaction de nos désirs, la frustration de nos attentes engendrent de la colère. Celle-ci vise à rétablir l’unité menacée par la perspective du manque. Le petit se met en colère contre le parent qui le prive. Il projette sur l’adulte la douleur du manque. Si celui-ci sait contenir les affects de son enfant, c’est-à-dire s’il reste proche de lui, disponible, rassurant et affectueux, l’enfant se reconstitue dans son identité, accepte peu à peu de faire face à ses sentiments agressifs. Il peut tolérer en lui sa négativité sans se sentir méchant. Au contraire, si le parent se fâche, il terrifie l’enfant qui reste démuni devant ses frustrations. L’enfant intègre le sentiment d’être mauvais, avec en sus la peur d’être détruit par son agressivité. L’adulte qu’il deviendra ne saura pas gérer ses haines et ses rages, il aura du mal à affronter la frustration, et s’en protégera par tous les moyens. L’une de ses défenses sera le renversement de la négativité contre l’objet du désir.
Mélanie Klein, dans son ouvrage L’Amour et la Haine, décrit bien ce processus par lequel nous nous protégeons du retour d’agressivité contre nous-mêmes en nous détournant dédaigneusement de la source de convoitise.
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C’est ainsi que nous pouvons nous trouver pleins de mépris pour ces êtres que nous désirons mais qui nous sont inaccessibles. Attention, cela ne veut pas forcément dire que toutes les personnes que vous haïssez sont des amours inconscientes « Prétendre qu’on ne peut haïr que là où l’on a aimé, c’est transformer l’élément de vérité contenu dans cette affirmation en une simple absurdité. » (Erich Fromm, La passion de détruire, p. 46)
Le combat intérieur pour maîtriser le désir est autrement plus difficile que l’évitement de la tentation. Il demande d’affronter en soi l’agressivité sans être détruit par elle. Éviter la tentation est une option (de plus en plus difficile à mettre en pratique dans notre société de consommation qui fait partout une promotion agressive de ses produits. Fuir la tentation, s’en défendre en dénigrant l’objet désiré souligne une gestion encore incertaine de la frustration, car l’objet continue d’être désiré… La rechute n’est pas loin. Une des causes d’échec des régimes et autres tentatives d’arrêt de dépendances, est que les émotions sous-jacentes ne sont pas prises en compte.
Nous décidons avec la tête, mais si nous n’écoutons pas le cœur, c’est le ventre qui prendra le pouvoir. Gérer vraiment la frustration, c’est regarder l’objet du désir et traverser en conscience toutes les émotions qui se présentent, sans s’y accrocher, sans leur laisser le pouvoir, simplement en les regardant, en les acceptant comme telles.
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La colère est donc une émotion secondaire à une blessure, un manque, une frustration. Elle est affirmation de sa personne. Elle sert au maintien de l’intégrité tant physique que psychique. Une colère saine est sans jugement sur autrui. Elle s’exprime à partir de soi, et utilise le « Je » plutôt que l’accusation « Tu es… ».
Quand tu… (énoncez précisément le comportement),
Je… (dites votre émotion),
Parce que… (partagez vos attentes, vos besoins, les raisons de votre émotion),
Et je te demande de… (quel est votre besoin actuel ?),
De façon à ce que… (fournissez une motivation).
Par exemple :
Quand vous m’appelez « mon petit »,
Je me sens mal à l’aise,
Parce que j’ai besoin de sentir votre estime, vous êtes mon patron,
Et je préfère que vous m’appeliez par mon nom,
J’aurais davantage de plaisir à travailler avec vous.
Ou encore, comme Milena qui, à vingt-huit ans, a confronté par écrit (et avec succès) un père qui l’avait violée à partir de l’âge de douze ans et jusqu’à dix-sept ans :
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Quand tu as abusé de moi alors que j’avais douze ans, et jusqu’à dix-sept ans, je me suis sentie abîmée, blessée, trahie, détruite. Je suis d’autant plus furieuse que tu étais mon père, j’aurais attendu de toi le respect de mon corps et de mon âme, et la protection qu’un père doit à ses enfants.
Je te demande de reconnaître ma souffrance, ma détresse, et combien ton acte m’a abîmée en tant que femme.
Je te demande de t’excuser de ce que tu as fait et que nous parlions ensemble de ce que tu pourrais faire ou me donner en guise de réparation.
Ainsi nous pourrons peut-être communiquer de nouveau.
- Soyez attentif à ne pas énoncer de jugement :
Spécifiez le plus précisément possible le comportement de l’autre, évitez les « tu es… », les définitions qui enferment l’autre dans un schéma, les généralisations : « tu fais toujours ça ». « Je me suis senti rejeté » n’est pas non plus un sentiment, c’est un jugement. Vous êtes-vous senti triste ? Honteux ? En colère ? « Je me suis senti agressé » est un jugement.
Le jugement est à proscrire parce qu’il suscite culpabilité, colère et autres complications émotionnelles indésirables. - Ne confondez pas sentiment et pensée.
« J’ai ressenti que tu ne t’intéressais pas à moi », n’est pas l’expression d’un sentiment.
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Certes, personne ne peut être à chaque instant dans les meilleures dispositions. Nous manquons tous des occasions que nous aurions dû saisir. Mais nous pouvons tous mesurer nos progrès au fil du temps. Les messages que vous envoyez, que ce soit par des paroles, des écrits ou votre simple présence, font-ils pencher la balance vers davantage d’engagement ou davantage de distance? Plus ils vous engageront, plus vous gagnerez en influence sur les autres.
Emerson a écrit : « Tout homme a le droit d’être estimé d’après ses meilleurs moments. » Réfléchissez à cela un instant. Avec qui entretenez-vous la relation la plus tendue en ce moment? Comment évoluerait-elle si vous vous concentriez sur les meilleurs moments de cette personne et que vous les mettiez en avant? Cela ne veut pas dire que cette personne n’a aucun tort. Peut-être même a-t-elle plus de défauts que de qualités, à moins qu’elle ne soir brisée après des années d’errance et de mauvaise conduite. Mais une chose est certaine : si vous voulez l’ inciter à changer, vous ne parviendrez pas à grand-chose en insistant sur ses torts ou ses erreurs.
Si, au contraire, vous la laissez entrevoir ce qu’elle pourrait être – sans alimenter de doux rêves mais en vous appuyant sur ses succès et ses qualités, aussi maigres soient-ils – , quelque chose en elle pourrait trouver une raison de se réveiller. Elle commencera peut-être à voir ce qu’elle peut encore être, malgré son passé. « Si vous traitez un individu comme ce qu’il est, vous le rendez pire que ce qu’il est; si vous le traitez comme ce qu’il pourrait être, il deviendra ce qu’il doit être. »
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Ces messages (Je…) sont difficiles parce qu’ils nous obligent à prendre la responsabilité de nos besoins et sentiments. Non manipulatoires, ils ne peuvent exprimer que des colères forcément justes puisque fondées sur l’expression d’un ressenti et non sur une accusation. Ils invitent à renoncer aux jeux de pouvoir.
Ne vous mettez pas en tête de changer l’autre. Vous n’avez pas de pouvoir sur la façon dont il (ou elle) choisit de gérer sa vie. Ses comportements le concernent… tant qu’ils ne vont pas à l’encontre de vos droits ou de vos besoins. On déduit trop souvent de la fameuse phrase « on ne peut pas changer les autres », qu’on ne peut rien leur demander. C’est faux. On ne peut changer les autres dans leur personne, mais si on sait les respecter dans leur être, ils sont souvent prêts à modifier leurs comportements pour la relation.
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Les non-dits
L’évitement systématique du conflit mène à une dépersonnalisation, rarement consciente. Une femme peut aller jusqu’à se sentir en « parfaite harmonie » avec son conjoint, alors qu’elle est intérieurement profondément en colère contre lui. Elle éprouve parfois des angoisses, se sent déprimée, a mal au dos, ou a des problèmes digestifs, mais elle ne pense pas à associer ces troubles aux sacrifices qu’elle fait pour protéger l’autre ou maintenir la paix. Plus d’une femme a vu des angoisses ou des dorsalgies qu’elle croyait chroniques disparaître après un divorce ou un travail psychothérapeutique lui permettant de s’affirmer.
Tout symptôme s’inscrit aussi dans une dynamique relationnelle. Exprimer sa colère, c’est dire les conséquences de son comportement sur nos émotions. Il ne s’agit en aucun cas d’affronter, ce n’est pas une guerre. On confond trop souvent conflit et querelle. Le premier est confrontation de deux univers, la seconde est tentative de prise de pouvoir de l’un sur l’autre. Le but reste l’harmonie, qui nécessite l’ajustement de deux personnes entières ; elle ne naît pas de la fusion de l’un dans l’autre. Il y a forcément des frictions dans une relation si les deux protagonistes veulent s’y inscrire en tant qu’être complet. Comment s’affirmer, dire sa colère, sans se quereller ?
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Il est fondamental de dire les choses le plus vite possible. C’est dès le début d’une relation qu’il est important de préciser ses limites. Les fossés se creusent vite entre deux personnes. Les non-dits ont tôt fait d’en faire des précipices, qui deviennent trop difficiles à franchir. Ne vous racontez pas d’histoires, ne cherchez pas à protéger les autres, n’ayez pas peur d’ennuyer avec vos questions. Si elles ennuient, c’est qu’il y a anguille sous roche.
« Ma femme est jalouse, elle m’énerve, m’accable de questions, elle me soupçonne de sortir avec ma secrétaire, j’ai beau lui dire qu’il n’en est rien, elle continue, c’est maladif, me confie Paul.
— Elle n’a pas de raison d’être jalouse ? » Je sais que Paul a une maîtresse depuis un an… Mais il est vrai que ce n’est pas sa secrétaire.
« Non, elle se trompe, elle voit le mal là où il n’est pas. »
Paul ne supporte pas d’être soupçonné. Il jure à sa femme qu’il ne la trompe pas avec sa secrétaire… En traitant sa femme de malade, il évite de se confronter à sa vérité. Malheureusement sa femme le croit, se culpabilise et s’excuse auprès de lui de sa jalousie excessive.
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Si vous avez un doute, faites-vous confiance. On peut en général se fier à ses sensations, elles sont souvent justes. En revanche, faute d’informations permettant de les décoder, nos interprétations peuvent être erronées. C’est pourquoi une accusation risque de tomber à côté. Mieux vaut montrer ses besoins, dire ses sentiments, faire entendre sa colère, pour comprendre et connaître la vérité.
Les frustrations, les malaises, les besoins dont nous ne sommes pas conscients, modifient notre rapport au réel. Une expérience a montré, par exemple, que des enseignants corrigent plus sévèrement leurs copies quand il fait trop chaud dans la pièce. Ils ne sont pas conscients d’être gênés par la chaleur. Les non-dits n’altèrent pas seulement la relation de couple, mais toute la vie affective, professionnelle et sociale.
Il y a aussi de grandes chances pour que les enfants en subissent les conséquences. La moindre assiette renversée, ou chambre pas rangée, mettra le parent en rage. Ce n’est pas toujours facile de dire sa colère à sa femme ou à son mari, mais décharger son énervement sur les enfants est dommageable pour eux à long terme.
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On risque d’induire un indéfinissable (puisqu’ils ne sont coupables de rien) sentiment de culpabilité qui les empêchera plus tard de s’affirmer. Mieux vaut leur offrir un modèle positif de règlement de conflit en leur montrant comment on dialogue entre époux. Et si une fessée « défoule » et libère un peu de pression, elle est toxique non seulement pour l’enfant, mais pour le parent qui la donne, car elle autorise la négation de la véritable origine de sa colère.
Désir et plaisir
On ne peut désirer l’autre que lorsqu’on est deux. Quand chacun tente de devenir ce qu’il imagine que l’autre attend de lui, quand chacun se perd lui-même pour se conformer à une image, quand les conflits sont systématiquement évités, l’individu n’existe plus, le désir se meurt. Ce n’est peut-être pas par hasard que beaucoup de couples se réconcilient sur l’oreiller après avoir déclenché une dispute. Est-ce à dire que le manque de désir qui s’installe peu à peu dans les couples pourrait être lié à de la colère non exprimée ? Oui, d’expérience de thérapeute, c’est souvent le cas. Cependant, les sentiments de rancœur ne sont plus conscients, puisque refoulés.
Vous vous changez pour l’autre ? Vous choisissez vos vêtements en fonction de lui (d’elle) ? Vous n’allez plus voir que des films qui lui plaisent ? Vous ne cuisinez que ce qu’il (elle) aime ? Vous devenez un prolongement de lui (d’elle). Comment avoir du désir pour lui (elle) puisqu’il (elle) est devenu une partie de vous ? D’autant qu’à vous conformer ainsi, vous niez une partie de votre personnalité, et accumulez inconsciemment du ressentiment ; une distance se crée…
Chasta DOUCHARD | Ambassadrice de PEPA Education Agency